Semaine
forte en découvertes Retour sur quatre créations
chorégraphiques
Dave Saint-Pierre, Brice Leroux, François
Chaignaud et Didier Deschamps viennent de proposer quatre
lectures abrasives, inconciliables et intraitables, de la force
des corps empoignant leurs projections poétiques dans
l'espace-temps
Couche-toi et chante
Même sans parler d'ébats érotiques, il y a bien une
sensualité particulière qui se rattache au lit (où du reste
s'emballe l'essentiel de nos rêves). On s'y renverse, on s'y
affale, s'y love, s'y tourne et retourne, alangui, dilué. Pour
sa performance LA CULTURE DES INDIVIDU.E.S, François Chaignaud
émerge lentement, par les fentes et les replis, couche à
couche, d'un invraisemblable amoncellement de matelas
enchevêtrés. Traînent par là aussi un très viril sabre
pointé à la verticale, une paire égarée de chaussures à
talon aiguille, des lampes - on ne sait trop en fait - à forme
fort godée.
Sur, ou plutôt dans, son tas, le voici en terrain instable, qui
jamais n'offre d'assise et de plan parfaitement arrimé à
l'ordre de la représentation scénique. Au nombre maximum de
cinq, les spectateurs sont comme plastiquement impliqués dans
une proximité extrême avec cet artiste dont le blog s'appelle reliefsouterrain
; c'est tout à fait ça. Sous ses maquillages et bijoux, Chaignaud
est une apparition, une création en lui-même ; une créature.
Il pose sur son être-au-monde des regards légèrement
révulsés, invertis, au sommet de discrètes et chancelantes
pamoisons mi-érotiques, mi-sacrées, pas bien équilibrées,
subtilement sulfureuses. Petit short mauve très échancré. Et
bottes de cuir.
Ce garçon aime chanter, fréquente l'opéra. Ici il engage son
délicat organe en litanie, sur le jazz électronique sourd de Bohren
un der Club of Gore, mixé de scintillements de Messiaen. Il
chante du Robert Walser, auteur que son errance conduisit
longtemps en internement, et qui dit qu' « Anna habite dans
une petite pièce extrêmement accueillante », et là se dit
: « il m'est impossible de vivre sans amour dans un endroit
pareil. Je dois bien à ce doigt de me dégotter un amant ; je
pourrai lui confier à quel point ce lieu me ravit et lui
m'accorderait que j'ai bien raison ».
Il y a donc privilège ravissant à pouvoir accompagner Chaignaud
quelques instants dans cette alcôve (imaginaire).
Performance vue mardi 5 juin 2007 à la galerie Yukiko Kawase
(Paris 14e)
Gérard Mayen
Publié le 13-06-2007
source : Mouvement
http://www.mouvement.net/